Après nos voisins allemands, c'est au tour de la France de commencer une campagne de censure sur le Net. S'appuyant sur l'article 227_23 du Code Pénal, les hommes du lieutenant-colonel de Gendarmerie Gérard Browne ont interpellé puis mis en examen les patrons de FranceNet et WorldNet pour diffusion d'images pédophiles dans les newsgroups. Inutile de s'échiner a répéter pour la énième fois que les fournisseurs d'internet sont diffuseurs de ces contenus et n'en sont en aucun cas les éditeurs. Mais la loi est claire et précise. Toutefois, si tous les professionnels d'internet, et les abonnés au réseau comprennent bien qu'il est physiquement impossible de contrôler les quelques 100 000 messages qui transitent chaque jour dans les news, il est beaucoup plus difficile de le faire admettre aux non-initiés.
L'AFPI (Association française des professionnels de l'Internet) a aussitôt protesté de cette mesure extrêmement abusive, fermant, tout comme France Pratique, l'intégralité des accès aux newsgroups en attendant d'être fixé sur le futur statut des fournisseurs d'accès au réseau. Interviewé par nos confrères de Libération, le directeur de WorldNet, nie toutes responsabilité quant au contenu des news, même s'il déclare "si on avait su qu'il y avait ce genre de chose on l'aurait sucré". Seulement pour "sucrer" cela, comme l'explique le patron de WorldNet il faudrait plusieurs centaines de personnes à temps plein. Patrick Robin, directeur d'Imaginet et responsable de l'AFPI, réclame lui la "formation d'un comité type commission de la protection de la jeunesse pour la presse doté des moyens de scruter régulièrement les groupes de discussion".
Les professionnels de l'Internet sont donc dans l'expectative demandant clairement à l'Etat de signifier précisément ce qui doit être "censuré" ou pas dans les newsgroups. Pour l'heure, la quasi-totalité des providers fait "la grève des newsgroups", seule façon d'appliquer la loi pour l'instant. Les gendarmes français, pas peu fiers d'être responsable de la première intrusion mondiale de la police judiciaire sur Internet, auront eu au moins le mérite de poser clairement le problème du statut des fournisseurs d'accès. Il eut été certainement plus serein de provoquer une rencontre entre les différentes parties, mais la pub autour de cette affaire doit ravir les tenants de l'ordre moral. De plus, exceptés certains comme nos confrères de Libération, la majorité des journalistes trouvent là matière à scandale. Imaginez le cocktail explosif pour l'audimat : haute technologie, cryptographie, pornographie. Un pur délice pour les échotiers incultes en matière d'internet trop heureux de déverser leur fiel sur un média qu'ils connaissent mal ou peu.
Il serait donc grand temps que tout le monde réfléchisse sérieusement. Tout baigne actuellement dans un gigantesque bain de fausse naïveté pénible et peu constructif. Les autorités font semblant de ne pas comprendre la mondialisation de l'information et la structure spécifique du Net, les providers jouent les étonnés en découvrant que certains newsgroups diffusent des images pédophiles. Les uns jouent la carte de la morale bafouée, les autres de l'impossibilité technique à résoudre les problèmes. Il y a des lois en France : elles réprouvent la pédophilie et l'apologie de la haine raciale. Appliquons les. Mais avant, réfléchissons au moyen de le faire intelligemment. Censurer tout Internet ou stopper son développement serait une atteinte majeure à la liberté d'expression et une bourde économique de premier plan. Alors messieurs, arrêtez de faire semblant et travaillez sérieusement. Vouloir censurer un média pour quelques images illégales reviendrait à couper le téléphone à tous les français si l'un d'entre eux s'en servait pour tenir des propos pédophiles ou pilonner tous les livres sous prétexte qu'un jour Mein Kampf a été édité sur papier.